Parti Démocrate : Le Jour d’Après

Thomas Devieilletoile
8 min readNov 21, 2024

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Howard University au soir de l’éléction, à Washington DC, 6 Novembre. REUTERS/Daniel Cole

« Je crois que nous venons d’assister au plus grand comeback de l’histoire des Etats-Unis d’Amérique ». Les mots de J.D Vance, colistier de Donald Trump, sonnent inhabituellement justes au soir de l’élection, alors qu’il vient tout juste de faire tomber une partie du « blue wall », les trois états du nord (Pennsylvanie, Wisconsin & Michigan) indispensables aux démocrates pour espérer arracher l’élection. Ils vireront finalement tous trois au rouge, et contrairement à 2016, où une poignée de voix aura permis à Donald Trump de faire basculer juste assez d’états dans son escarcelle, sa victoire est d’autant plus éclatante qu’il emporte le vote populaire à l’échelle nationale, en progressant dans les bastions progressistes. New York est désormais plus proche de devenir républicain que la Floride ne l’est de devenir démocrate.

Personne ne peut dire que le peuple américain n’a pas choisi en connaissance de cause, et c’est bien ça qui plonge le parti démocrate dans la crise la plus grave de son histoire récente. De la rhétorique anti-Trump, rien n’a marché, et le parti de Joe Biden qui avait mobilisé le plus grand nombre d’électeurs de l’histoire il y a quatre ans, abandonne à nouveau la Maison Blanche à Trump, ainsi que la chambre et le Sénat aux républicains, et a ainsi les pleins pouvoirs au GOP. Pour n’importe quel autre parti dans le monde, ce serait la fin. Les Américains étant coincés avec leur système bipartisan, les démocrates seront forcés de renaître de leurs cendres. Mais la route pour y arriver est bien incertaine, alors qu’il faudra probablement repartir de zéro.

Trop peu, trop tard

Il y a d’abord les raisons de l’échec. Kamala Harris pouvait-elle faire mieux en trois mois, propulsée en haut du ticket en moins d’une semaine, en plein été, à la suite de la débâcle au débat présidentiel de Joe Biden ? On peut en douter. C’est le premier problème de ce scénario : non pas qu’elle ne soit pas connue du grand public, mais le parti démocrate se prive d’une vraie primaire avec un débat d’idées, d’une plateforme, de la co-construction d’un programme d’avenir. Est-elle la meilleure pour prendre la tête de l’affiche à ce moment-là ? Oui, et peut être la seule option viable, car c’est la candidate logique en tant que Vice-Présidente, mais ce n’est pas le meilleur candidat démocrate dans l’absolu. A cet instant, Joe Biden a déjà conduit le parti dans une impasse en refusant de reconnaître réalistement ses faibles chances, et les quelques personnalités dubitatives (mais clairvoyantes) dans le parti comme Barack Obama et Nancy Pelosi, qui auraient préféré un débat, n’auront guère d’autres options que de se ranger derrière la candidature de la vice-présidente. A partir de cet instant, c’est donc all-in pour les démocrates.

Il y a d’abord un espoir. Les démocrates remontent dans les sondages, le déficit d’image du président vieillissant est gommé par le dynamisme d’une candidate vingt ans plus jeune, et qui représente tout de même une proposition plus moderne et séduisante, habilement accompagnée d’un colistier au profil complémentaire comme Tim Waltz. Ce qui nous amène au deuxième problème du scénario Harris : malgré des fonds levés en un temps record et le meilleur marketing du monde, Kamala Harris reste avant tout un visage de la présidence en cours. Elle peine à s’en détacher, étant bien embêtée pour répondre à la question « En quoi êtes-vous différente de Joe Biden ? » en interview. Et si le bilan économique démocrate n’est pas mauvais, avec des réformes ambitieuses qui auront un impact durable (notamment sur les infrastructures), les Américains n’ont qu’un seul mot à la bouche : l’inflation. Le mécontentement général sera, au final, un caillou dans la chaussure jusqu’au résultat de l’élection générale, où les sujets mis en avant par les démocrates (avortement, protection de la démocratie et de la presse, santé) seront largement supplantés par les problématiques économiques. Était-ce donc perdu d’avance ? On peut le penser. Mais il y a d’autres raisons, moins conjoncturelles, à la débâcle.

La Fin de l’Électorat Captif ?

Pendant des années, la croyance était que les évolutions de la population américaine vers des composantes plus diverses et de moins en moins blanches finiraient par le sonner le glas de la capacité des républicains à gagner des élections. Le scrutin de 2024 enterre définitivement cette théorie, alors que le vote des minorités, notamment latino, des jeunes, et des femmes dans une moindre mesure, semble plus en jeu que jamais. Et c’est toute la grille de lecture des démocrates qui est à jeter par la fenêtre. Les électeurs ne sont plus, comme en 2008, un empilement de catégories dissociables, mais sont rassemblés par des idées et valeurs qui transcendent leur nature.

Et à ce jeu-là, qui catégorise le moins et ratisse le plus large ? Donald Trump. Car être un citoyen d’origine cubaine avec un business à Miami ne fait pas de vous un électeur pro-immigration sensible à la question de l’avortement, loin de là. En jouant sa partition sur des thématiques larges, purement économiques, de protectionnisme, d’un droit inaliénable à vivre comme on le souhaite avec ses valeurs, le candidat républicain capte plus loin que l’auditoire traditionnel du parti. Cela fait mouche dans un pays qui a passé beaucoup plus de temps, ces dernières années, à mettre en exergue ses divisions que de créer un socle commun de vivre ensemble. 2024 sera probablement considéré comme le point final d’une ère Obama, où le rêve d’une nation qui surpasse ses différences aura été torpillé par des mouvances plus radicales et revendicatives (dans un camp comme dans l’autre) qui ont rouvert plus de plaies qu’elles n’en ont fermées.

La Vie en Rouge

Au cœur de cet électorat mouvant et divisé, il y a la question d’un style de vie auquel s’identifie l’électorat américain. Car si les arguments des démocrates, comme ceux de la presse traditionnelle, pour attaquer un candidat objectivement dangereux (pour quiconque un tant soit peu attaché à la notion d’état de droit) n’ont pas été audibles, c’est parce que voter pour un camp ou l’autre dépasse la notion même de candidat : c’est désormais une question d’identité. Il serait caricatural de dire que l’Amérique du bon sens et du pickup truck a gagné sur celle de la Prius et de l’identité de genre, mais nous n’en sommes pas loin. Face à une élite intellectuelle concentrée sur des thêmes très éloignés des préoccupations du citoyen moyen, une partie de l’Amérique regarde de manière désabusée des étudiants en quête de sens bloquer des universités devenues inaccessibles au commun des mortels ; des élus californiens tenter de débaptiser des écoles Washington ou Lincoln au nom d’une correction de l’histoire où tous les symboles doivent être remis en cause (ils finiront par devoir se rétracter sous la pression populaire). Le tout participant à la déconstruction du socle commun qui servait de trait d’union à des citoyens aux origines et croyances diverses et variées.

Les démocrates semblent ne plus parler la même langue que leur électorat, eux qui souffrent déjà d’une image d’élites déconnectées. Cela a un coût elevé dans un monde qui a tendance à se tourner vers un vote contestataire, conséquence d’une mondialisation qui a décimé la classe moyenne. Si la campagne Obama était une réussite, c’est que le candidat incarnait quelque chose de plus grand que lui, une forme de progrès évident qui suscitait un espoir et adhésion dans l’ensemble de l’électorat. Avec la santé pour tous, la fin de la guerre contre la terreur, et l’abolition de la dernière barrière raciale, il transcendait les catégories électorales et parlait à tous. Joe Biden a gagné dans son sillage et sur le chaos ambiant de la première présidence Trump, mais il restera désormais comme un trait d’union entre deux présidences républicaines. Pour le meilleur et pour le pire, Donald Trump est un produit bien plus facile à vendre que Kamala Harris pour répondre aux tourments qui secouent l’Amérique aujourd’hui.

Le Produit Parfait d’un Monde Surconnecté

Nous ne reviendrons pas sur les problèmes inhérents au candidat Trump, mais sur « pourquoi il gagne ». Il gagne en premier lieu car il représente tout ce que les démocrates ne sont pas. Il est l’option identitaire rassurante dans un monde qui change très rapidement, la meilleure échappatoire aux différents conflits et enjeux environnementaux, qui sont un poids trop lourd pour une population qui voit son avenir de plus en plus bouché et incertain. Son discours basique et accessible est calibré sur la vitesse d’absorption de l’information de l’époque, et fait constamment écho aux symboles qui ont servi de trait d’union à l’Amérique depuis des décennies. Il est également une formidable usine à contenu viral (souvent malgré lui), à une époque où toute une population a les yeux rivés sur un écran, quelle qu’en soit la nature (Fox News, X, ou Tik Tok…). C’est un show permanent qui dépasse tous les scénarios de South Park, en passant de la tentative d’assassinat manquée au drive-in de McDonald’s en quelques semaines.

Bien évidemment, tout l’électorat n’est pas perméable aux excentricités du candidat, il convient d’exclure de notre analyse la foule sur-biberonnée à Fox News, déjà acquise à la cause, ainsi que la majorité de la population des côtes ; ce sont bien les électeurs du milieu qui nous intéressent. Donald Trump montre en une élection clef qu’il est au final moins un repoussoir à électeurs centristes que ne le pensaient les démocrates. Mais alors, si la majorité de l’Amérique est prête à réélire un candidat diabolisé au dernier degré, malgré les risques posés à l’existence même de certaines branches vitales de l’état fédéral, que toutes les forces ont été mises dans la bataille, et que l’on perd : comment retrouver la recette de la victoire ?

Le Chemin de l’Union

On sait désormais qu’il faudra au moins deux ans avant que les démocrates ne puissent tenter de retrouver une majorité à la Chambre ou au Sénat. Il serait une erreur fondamentale de les passer à se reconstruire en opposition à Donald Trump. Oui, l’opposition aux résultats de l’administration en place a payé en 2020, mais c’est une stratégie court-termiste qui vient de montrer ses limites : l’identité du parti ne peut pas se résumer à l’anti-trumpisme. La gauche américaine doit retrouver le chemin des grands thèmes qui en font un parti synonyme de progrès, d’amélioration de la vie des travailleurs, et ne pas laisser les thèmes de l’opportunité économique et de l’amélioration du niveau de vie aux républicains. Cela passe probablement aussi par attaquer avec sérieux la thématique de l’immigration et exclure les thèmes les plus clivants (que l’on qualifiera abusivement de wokiste), qui sont probablement le repoussoir le plus efficace jamais créé pour gagner le cœur du travailleur américain moyen. Sur ce sujet : il serait sûrement faux de dire que c’est le premier facteur de défaite des démocrates comme on l’entend parfois ; mais il serait très risqué d’ignorer que l’ultra-tolérance et le politiquement correct à outrance ont créé l’effet exactement inverse de celui recherché.

Le parti démocrate n’est pas obligé d’attendre deux ans pour commencer son travail. Dans de nombreux états, il est en total contrôle (ce qui ne les a pas empêchés de perdre des électeurs sur leur terrain), et c’est là qu’il doit en premier montrer la viabilité de son modèle de société et de vivre ensemble. Les défis sont nombreux, dans les rues de San Francisco, New York et Los Angeles, et il appartient désormais aux gouverneurs et assemblées régionales de commencer le travail. La route sera longue, mais au bout de la quête d’une nouvelle identité, il ne sera vraisemblablement pas difficile d’incarner un destin commun plus radieux, plus vert et plus tolérant que celui proposé par le camp d’en face.

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Thomas Devieilletoile
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Written by Thomas Devieilletoile

Courtes & longues explications sur les curiosités d’outre-Atlantique.

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