Pourquoi le Parti Républicain s’accroche-t-il encore à Donald Trump ?

À deux semaines de la fin de son mandat, le président des États-Unis est entré dans une énième tourmente, en tentant de faire pression sur le secrétaire d’état républicain de Géorgie pour renverser le résultat de l’élection. Malgré l’épuisement de tous les recours juridiques possibles, une poignée d’irréductibles sénateurs menée par Ted Cruz le soutiennent encore et devraient s’opposer à la certification des résultats au Congrès cette semaine. En vain. Mais ce ne sont que les derniers membres de l’establishment républicain à tourner le dos aux institutions qu’ils ont juré de défendre. Ces dernières années, nombreux ont été ceux à l’intérieur du parti à avoir mis entre parenthèses leurs convictions et à être revenus sur leurs déclarations, pour soutenir le président dans ses prises de décisions les plus risquées et ses positions ultra-clivantes. Alors qu’il ne reste plus que quelques jours et qu’ils ne doivent plus rien à Donald Trump, pourquoi ont-ils autant de mal à s’en détacher ?
Une étincelle qui mènera loin
Pour mieux comprendre comment le parti en est arrivé là, il est important de remonter à 2016 et à la primaire républicaine. Après deux candidatures infructueuses de l’aile que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de « modérée » (John McCain en 2008 & Mitt Romney en 2012), le Parti Républicain entame une nouvelle primaire avec des candidats aux grandes prétentions : Jebb Bush, le frère de l’ex-président, et populaire en Floride auprès de l’électorat hispanique, doit incarner le renouveau du parti tourné vers les minorités après les années Obama. Tedd Cruz, le flamboyant sénateur du Texas représente la ligne dure de la droite, et veut faire fructifier l’héritage du Tea Party. Ils sont nombreux à compléter ce tableau : Chris Christie, gouverneur du New Jersey qui s’est illustré lors de la gestion de l’ouragan Sandy, Lindsey Graham, sénateur de la Caroline du Sud et actuel président du comité judiciaire au Sénat, et Marco Rubio, sénateur de Floride et un des deux seuls latino-américains au Sénat lors de son entrée en 2010. Seulement voilà, lors d’une douzaine de débat consécutifs, les candidats seront tous balayés un à un par le candidat jamais élu Donald Trump, qui ne s’était récemment fait connaitre en politique que pour avoir contesté la nationalité du président au pouvoir. Lorsque Barack Obama doit montrer son certificat de naissance pour apaiser une polémique qui a pris une ampleur inédite (car partie d’un simple tweet), c’est avec une pointe d’humour qu’il déclare devant toutes les chaînes qui ont interrompu leurs programmes : « Heureusement qu’on ne parle pas de sécurité nationale aujourd’hui, j’aurais surement eu moins d’audience », puis avec une pointe de fatigue et de d’amertume : « Nous n’avons pas le temps pour ce genre de bêtises. Nous avons plus important à faire. J’ai plus important à faire. ». Embarras national pour le président obligé de se justifier, l’affaire est d’ailleurs le premier témoignage éloquent de l’Amérique « post-truth » (ou post-vérité). La rancœur restera jusqu’au White House Correspondents Diner de 2011, ou devant le parterre de l’ensemble de la presse américaine — et où est également invité Donald Trump — Barack Obama décide de montrer la vidéo de sa naissance pour clore le débat, qui n’est autre que l’introduction du Roi Lion des studios Disney. Humilié et moqué par toute la salle, certains diront que c’est à ce moment que Donald Trump décide de se lancer dans la course à la présidentielle. Une étincelle qui mènera loin.
« Si Donald Trump devient président, nous nous réveillerons un matin et il aura atomisé le Danemark »
Son programme ne sera pas basé sur plus d’éléments que ses accusations contre le président sortant. A chaque débat, il se présente sans préparation ni programme, mais avec toujours des nouvelles déclarations tapageuses sur les sujets les plus brûlants : l’Irak, l’immigration avec le Mexique, les échanges commerciaux avec l’Asie, ou simplement le rôle des femmes dans la société . En calant son discours sur le curseur le plus haut sur l’échelle de la polémique, il éclipse totalement les discours modérés et les programmes millimétrés de l’establishment républicain, qui s’unit comme un seul homme contre lui. « Incompétent, dangereux, stupide », quasiment chaque candidat (et parfois futur ministre de son administration) l’attaquera avec véhémence, pour empêcher que l’ensemble de l’électorat du parti bascule dans les mains d’un homme qui ne répond à rien ni personne dans le cercle politique actuel. « Si Donald Trump devient président, nous nous réveillerons un matin et il aura atomisé le Danemark » déclarera Ted Cruz lors de la campagne. Qu’importe, la rhétorique du milliardaire new-yorkais est plus forte : « Ted Cruz est un hypocrite total et, jusqu’à récemment, un citoyen canadien qui n’a peut-être même pas le droit légal de se présenter à la présidence ». Un à un, les candidats abandonneront la course, et le parti sera forcer d’accepter l’inéluctable. Donald Trump sera le candidat du Grand Old Party pour l’élection générale de 2016.
« C’est l’élection la plus irréelle et surréaliste que nous ayons jamais vue, cette candidature a commencé dans un escalator il y a un an… »
Le camp démocrate se frotte déjà les mains. Après huit ans de présidence de Barack Obama, voilà une opportunité exceptionnelle de garder la Maison Blanche pour 4 ans de plus, et d’y placer la première femme présidente du pays. Les frères Koch, grands argentiers du Parti Républicain, n’y croient d’ailleurs pas non plus. Alors que leur réseau de donneurs avait dépensé 400 millions de $ en 2012 pour Mitt Romney, ils annoncent ne pas soutenir le milliardaire et reportent leurs fonds sur les élections sénatoriales, soumises à de forts enjeux. Avec deux fois moins de dons récoltés que le camp démocrate, la bataille est perdue d’avance, dans un pays ou l’argent achète très souvent littéralement le pouvoir. Mais pourtant le 6 novembre 2016, le présentateur de Fox News Bret Baier semble ne pas croire à ce qu’il dit lorsqu’il annonce la victoire du milliardaire « l’élection la plus irréelle et surréaliste que nous ayons jamais vue, cette candidature a commencé dans un escalator il y a un an… » (en référence à l’annonce de Trump à la Trump Tower en descendant de ses appartements). C’est à cet instant précis que la réalité bascule pour le pays et le Parti Républicain : le candidat qui vocifère sur les pupitres, insultant tout et tout le monde jusque dans son propre camp, dont le principal accomplissement est d’être une médiatique ex-star de la télé-réalité, a battu à armes inégales Hilary Clinton, peut-être la candidate la plus expérimentée de l’histoire du parti et cheffe star de la diplomatie de Barack Obama. Donald Trump fera face à la presse et à son public quasi-hagard ce soir-là, ne semblant lui non plus ne pas y croire. Il lui faudra un peu de temps pour s’ajuster cette nouvelle réalité. Pour l’establishment républicain côté médiatique et politique, c’est la sidération, d’autant plus que le parti conserve la majorité à la chambre et au sénat, et obtient autrement dit les pleins pouvoirs. Alors, si c’est ce que les gens veulent c’est du Donald Trump, c’est ce qu’on va leur donner.
Fox & Friends
Très rapidement, la rhétorique de Fox News va se durcir pour se calquer sur le ton du président et de ses conseillers, qui défilent toute la journée sur les ondes de la chaine conservatrice pour défendre chacun des tweets et des actes qui sortent du bureau ovale. Les scènes les plus ubuesques et contre-vérités se succèdent, alors que les membres de son cabinet sont renvoyés les uns après les autres, parfois au bout de quelques mois, par caprice du Président. L’amateurisme de la gouvernance principalement constituée par sa famille (comment ne pas citer son beau-fils Jared Kushner sans aucune expérience politique nommé pour ramener la paix au Moyen-Orient ?), ébahit l’Amérique et le monde. A suivre le sujet de loin, on est souvent confronté à cette réflexion : « Si il est devenu président, il ne peut pas être si incompétent ». La réalité est pourtant souvent d’une brutalité rare avec cette affirmation, pour un président qui manque de déclencher une guerre nucléaire avec la Corée du Nord dans les premiers mois de son mandat, tout en attisant les tensions avec son premier partenaire commercial, et rechignant à lire les briefing de sécurité nationale car trop longs. Et qui, beaucoup plus radicalement, contrecarre toutes les tentatives des institutions qui protègent l’Amérique d’enquêter sur les ingérences étrangères dans l’élection passée. Quitte à risquer l’impeachment.
“Good Morning Mr President”
Les mensonges se succèdent, et le président ne semble gouverner que par instinct et par préjugé sans véritable doctrine. Les chaines d’informations doivent apprendre à gérer un président qui remet directement en question leur version des faits (« You’re Fake News », en s’adressant directement au journaliste de CNN), et installe peu à peu sa réalité alternative. Alors, au bout de quelques mois, deux camps se font face : ceux qui vont méticuleusement décortiquer chaque fait et geste du président (la grande majorité des médias libéraux du pays) pour jouer pleinement leur rôle de 4ème pouvoir, et l’empire Fox du magnat des médias Rupert Murdoch. Car si Fox News a toujours été à droite, elle n’a pas toujours été aussi radicale et désintéressée des faits. Mais devant les audiences records qu’amène la couverture médiatique de la présidence, c’est tout un ensemble journalistique qui va basculer dans une semi-propagande permanente au service de la rentabilité. Première chaîne d’information du pays, elle va contribuer à installer la réalité du président dans les mentalités. Un chemin duquel, quatre ans plus tard, on ne peut revenir, et dont l’impact sur l’électorat américain se fera surement sentir pendant des décennies. Une machine qui s’auto-alimente, car le président ne regarde majoritairement que la Fox, et sa vision de la réalité est lourdement façonnée par ce qu’il voit à travers l’écran (il n’est pas rare de le voir réagir en direct aux propos des commentateurs de la matinale Fox & Friends).
« Mitch n’a qu’une seule obsession : les juges »
Mais si le cirque est permanent à la Maison Blanche, il ne l’est pas au Congrès et surtout pas au Sénat, à la main de Mitch McConnell, le froid et calculateur leader de la majorité républicaine. C’est là que l’ensemble des poids lourds du Parti Républicain vont profiter de leur mainmise sur l’ensemble de l’appareil législatif des États-Unis pour faire passer les réformes structurelles les plus dures et les plus durables possibles. Car si la présidence n’est pas éternelle, au moins une autre institution peut façonner le paysage juridique du pays pour des décennies : la Cour Suprême. De l’aveu du président lors de ses échanges avec le journaliste Bob Woodward, « Mitch n’a qu’une seule obsession : les juges ». Si le président est souvent incontrôlable, il est pourtant parfois habilement amené à exécuter les volontés de la majorité pour que l’idéologie de la droite conservatrice perdure bien au-delà de son mandat. Avec trois nominations sur neuf juges de la Cour au cours des quatre années écoulées, les fantasmes les plus fous du camps républicain se sont réalisés. Le potentiel de renverser le fameux arrêt « Roe vs Wade » qui garantit le droit à l’avortement dans l’ensemble des états de l’union pourrait devenir réalité. Mais trois nominations à quel prix ? Lors de celle de Brett Kavanaugh, accusé pendant le processus d’harcèlements sexuels lorsqu’il était étudiant, le pays se déchire devant les témoignages devant le Sénat en direct à la télévision de sa victime supposée, et du prétendant au poste de « Justice ». Fameusement parodié par le Saturday Night Live, la séquence restera dans les mémoires comme peut-être le moment le plus clivant de la présidence, alors que la mince majorité républicaine au Sénat permet à Lindsey Graham (président du comité judiciaire et ancien profond détracteur de Trump lors des primaires), de faire passer la nomination en force malgré le scandale, assurant jusqu’au bout l’exécution des volontés du président.
Les anciens dogmes au tapis
L’agenda législatif sera complété par de multiples « bills » ambitieux pour changer le rapport de force des années Obama. Le Tax Cuts and Jobs Act de 2017 rendra des milliards aux grandes entreprises et aux contribuables les plus aisés, au détriment du déficit du pays qui s’aggrave à hauteur de 1000 milliards par an. Autrefois ligne rouge des républicains pour bloquer les programmes sociaux des démocrates, c’est désormais le Trésor qui se met au service des intérêt privés (et notamment du complexe militaro-industriel qui voit son budget sensiblement augmenter) en faisant tourner l’état à perte. Mais plus aucun principe n’a d’importance tant que l’on peut défendre la ligne dure nationaliste du président, qui continue de rapporter gros dans les sondages. Des mesures environnementales datant parfois des années 90 sont révoquées, des normes supprimées, des taxes douanières imposées à la va-vite et parfois au détriment même de l’électorat du président (on estime que les agriculteurs américains auront été les plus grands perdants de la guerre commerciale avec la Chine). Mais qui s’en soucie si, à la télévision, l’Amérique va mieux ? Le Parti Républicain lui, applique sa politique avec une facilité quasi-déconcertante. Alors dans les milieux intellectuels de droite, on fait abstraction de l’abrasif discours de Trump, et on compte les points.
Keep America Great
A l’aube de la présidentielle 2020, la vision du président sortant touche tout et embrase l’ensemble des sujets. Sur celui des émeutes raciales et du mouvement du Black Lives Matter, ce dernier n’hésite pas à opposer les Antifa « violents et qui veulent brûler le pays » à l’Amérique de « l’ordre et de la justice ». Qu’importe qui a frappé en premier et combien de coups sont portés. La rhétorique du président restera simplement « On est pour ou contre l’Amérique ». Une logique qui s’étendra fatalement à la gestion de la pandémie, qualifiée jusqu’au plus tard possible de menace mineure et extérieure. La mauvaise gestion du « chinese virus » ne pourrait possiblement être imputée au président américain, puisqu’il s’agit d’une erreur de la Chine et de l’OMS de l’avoir laissé s’échapper. Sa conseillère la plus proche, Kellyanne Conway déclarant fameusement « Nous en sommes au 19ème COVID, pourquoi n’a-t-il pas été mieux géré ? », ignorant que le numéro 19 fait référence à l’année de découverte du virus.
La vision du président imprégnant tout, les républicains ne peuvent reproduire l’erreur de la précédente élection. Ils n’ont d’autre choix que de tout miser sur leur poule aux œufs d’or afin de maintenir leur emprise sur le Sénat et la Maison Blanche. Les fonds sont levés, et quasiment chaque membre du parti a adopté la rhétorique du président et défend sa gestion. Le constat est là : le Parti Républicain n’est plus celui de 2016, c’est devenu une puissante machine à véhiculer l’idéologie Trumpiste.
“ Trump won’t go quietly in the night” -Mitt Romney (à propos des résultats de l’élection)
Alors, lorsque la victoire des démocrates vient frapper à la porte de la réalité alternative du clan Trump, c’est le désastre. Comment expliquer une défaite de près de 7 millions de voix, alors que pourtant, ce président gagne tout au point que « vous en serez fatigués de gagner » ? En s’enfermant plus loin dans le déni et la réalité parallèle… Le Président avait déjà préparé le terrain en jetant le discrédit sur le vote par correspondance bien avant l’élection, sans aucun fondement. Le doute s’empare alors de l’état-major républicain. On n’a jamais remis en cause des résultats dans autant d’états, et d’autant plus sans raison. Mais il est trop tard, tous sont pieds et poings liés. Même Mitt Romney, qui s’était abstenu lors de la procédure d’impeachment et rare représentant des républicains « raisonnés », déclarera que le président a le droit « d’utiliser tous les recours légaux qu’il souhaite ». Il serait fou de s’aliéner un électorat qui boit les paroles du président depuis maintenant quatre ans, et biberonné à Fox News. La machine est désormais inarrêtable. Soixante recours juridiques se succèdent, un jusque devant la Cour Suprême, en vain. Le président n’a aucun élément pour réussir à prouver le vol de l’élection qu’il avance. Mais il aura réussi à pousser le parti à le suivre dans sa réalité alternative jusqu’à ce que ses élus attaquent les institutions qu’ils sont censés défendre : cette semaine, 140 représentants de la chambre et 12 sénateurs devraient voter contre la certification des résultats au Congrès, remettant donc en question directement la capacité du peuple à choisir leur président.
Et maintenant ?
La question qui se pose dorénavant, est combien parmi ces nouveaux élus croient vraiment à la rhétorique du président ? Un certain nombre, il semblerait. Au point que les premiers appels à la raison apparaissent au sein du parti, l’ancien speaker de la chambre Paul Ryan appelant à ne pas « rejeter les votes du collège électoral et semer le doute sur la victoire de Joe Biden pour ne pas frapper à la fondation de notre république ». Consciente de la fracture créée dans l’électorat par les quatre années de Trumpisme, la vieille garde a désormais devant elle celle de son propre parti. Les républicains seront-ils capables de revenir d’une idéologie qui a si profondément infusé dans les pensées pendant ces dernières années ? Cela reste à déterminer. Et si oui, comment rebâtir la confiance des électeurs envers les institutions par lesquelles ils élisent leurs représentants ? Si Donald Trump quitte la Maison Blanche le 20 janvier, le courant politique qu’il laisse perdurer a surement de beaux jours devant lui chez des dizaines de millions d’américains : il aurait après tout détenu le record d’électeurs à l’élection présidentielle, s’il n’avait pas été battu par Joe Biden. Un courant dont le Parti Républicain aura désormais bien du mal à se détacher ; dur retour à la réalité.